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Les silences de la gauche et des syndicats suisses



Plusieurs pays membres de l'UE sont aujourd'hui le théâtre de révoltes qui touchent des secteurs de plus en plus nombreux de la population: agriculteurs en France et en Espagne, syndicalistes en Allemagne, fonctionnaires en Grèce. Un peu partout, la marche forcée vers l'union monétaire et économique et sa nouvelle Bible, le Traité de Maastricht et ses «commandements de convergence», sont remis en cause. Pourquoi, en Suisse, le Parti socialiste et les syndicats continuent-ils à présenter l'adhésion de notre pays comme notre seul avenir possible? Pourquoi, en Suisse, le Parti socialiste et les syndicats continuent-ils à présenter l'adhésion de notre pays comme notre seul avenir possible?

par Françoise Pitteloud

Le 16 mars 1997 défilaient à Bruxelles 100'000 travailleurs européens pour protester contre la fermeture de l'usine Renault de Vilvorde. Sur les banderoles on pouvait lire: "Europe - cimetière du social", "Europe - mérites-tu tes étoiles?"

Certes non, l'Europe ne mérite pas ses étoiles, et c'est ce qu'expriment de plus en plus les opinions publiques et les citoyens européens, c'est ce qu'exprimait cette manifestation: le ras le bol de l'Europe du fric et de la concurrence, des restructurations, des délocalisations et des fermetures d'entreprises. Car, au-delà des bla-bla politiques mensongers, ce qui s'impose progressivement aux yeux de l'ensemble des populations européennes c'est le constat brutal d'une UE pour laquelle la réalisation d'un grand marché de 380 millions de consommateurs et celle d'une monnaie unique, l'Euro, sont les seuls véritables objectifs. Au profit de qui? Là est la question centrale, question qui n'est que rarement soulevée ou à laquelle les réponses données depuis plusieurs années déjà sont démenties par les faits: "L'Union économique et monétaire, harmonisant les politiques économiques et créant la monnaie unique, est un facteur de croissance et de création d'emplois" affirmait en 1992 Edmond Maire, ancien secrétaire général de la CFDT. "L'Europe est la réponse d'avenir à la question du chômage; (...) en s'appuyant sur un marché de 340 millions de consommateurs, le plus grand du monde, sur une monnaie unique, la plus forte du monde, sur un système de sécurité sociale le plus protecteur du monde, les entreprises pourront se développer et créer des emplois" affirmait en 1992 Michel Sapin, ministre socialiste.

Malheureusement, pour parvenir à ce bienheureux avenir européen, il faut passer par l'application du traité de Maastricht et plus particulièrement par l'application des critères de convergence, dont les effets dévastateurs sont aujourd'hui connus des citoyens européens: dans toute l'Europe règnent les programmes d'austérité, les privatisations des services publics, les politiques déflationnistes provoquant la perte de milliers d'emplois, le maintien de taux monétaires élevés permettant de reporter sur les salariés et les classes moyennes le poids de la dette publique.

En Suisse aussi, malgré le refus populaire d'adhérer à l'EEE, le Conseil Fédéral se montre un postulant zélé aux critères d'une future adhésion: démantèlement des PTT et des CFF, attaques aux protections sociales, aux systèmes de santé et de formation, aux universités. Et l'Europe sociale dans tout cela? Elle reste un voeu pieux, une incantation rappelée à chaque fois que s'exprime la colère des population malmenées. Après la crise de Renault, Jacques Santer (président de la Commission Européenne!) réclame la "création d'un volet social convaincant." Ailleurs, on constate que "ne pas renforcer le caractère social de l'Europe, c'est courir le risque de mettre en difficulté l'Europe économique, monétaire et politique" (J. Jeannerat - Journal de Genève 24.3.97).

Dans cette conjoncture, le simple citoyen suisse ne peut que se demander par quel tour de passe-passe les responsables politiques et syndicaux de ce pays lui présentent une UE sinistrée, comprenant 50 millions de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté, 20 millions de personnes au chômage et 5 millions de sans-abri comme le nouvel Eldorado! Il ne peut également qu'afficher son scepticisme lorsque 54 personnalités de tous bords politiques annoncent en avril 97 dans un manifeste intitulé "né en 1848" que le "défi européen leur donne des ailes" car "l'UE partage les idéaux de la Suisse que sont la liberté, la démocratie, la paix, la solidarité, la concurrence et la sécurité sociale!" Car ce qu'il constate, une fois de plus, c'est que dans l'EU, les critères démocratiques, sociaux, écologiques, sont traités avant tout comme des obstacles au profit: pensons à la façon dont l'UE a géré la crise de la vache folle ou, plus récemment, l'introduction sur les marchés européens du maïs transgénique; constatons avec quel acharnement elle veut imposer à la Suisse de renoncer à appliquer l'initiative des Alpes et à protéger le territoire et ses habitants contre l'armada de poids lourds européens; considérons enfin comment ce soi disant "immense espace de liberté" s'entoure, avec les accords de Schengen, d'une muraille infranchissable conçue pour décourager immigrés et réfugiés d'y pénétrer.

Par ailleurs, il faut bel et bien admettre que, à l'échelle mondiale, les réseaux transnationaux économiques imposent de plus en plus leurs lois aux États et que Maastricht n'est que le volet européen de la mondialisation, la forme que s'est donnée le libéralisme européen pour faire pièce aux blocs économiques des USA et du Japon.

"L'union du continent européen est, de fait, une déterritorialisation généralisée des entreprises, des capitaux et des pouvoirs. La possibilité que les nations disparaissent comme entités politiques (...) est inscrite dans le projet européen. Les peuples le sentent même si les responsables le nient." (Paul Thibaut, Le Monde Diplomatique - Manière de voir n° 32). La mise sur pied d'une monnaie unique, l'Euro, ne peut être réalisée sans remettre en cause les fondements même de la souveraineté nationale: "Une monnaie unique n'est cependant possible que si tous les pays respectaient une politique économique centralisée. Pour que cela puisse fonctionner, I'UE devrait avoir un gouvernement commun" déclarait en décembre 1993 l'ancien Conseiller Fédéral Otto Stich.

Ces vérités et quelques autres ne font pas la "Une" des médias romands, rien d'étonnant; mais ce qui est plus grave, elles ne sont pas non plus présentes dans la presse de gauche et des syndicats. La gauche a certes toujours (ou à peu près) été internationaliste et a considéré avec raison que, si l'économie n'avait pas attendu les politiciens pour s'organiser au niveau international, les travailleurs et les défenseurs de la démocratie, devraient en faire autant, ce qu'elle a tenté de faire au cours de son histoire, avec des succès divers. Le constat qu'il n'est plus possible de régler nombre de problèmes dans le cadre national (tels que la protection de l'environnement, les transports, les protections sociales, la recherche, etc.) l'amène à prôner l'adhésion de la Suisse à l'UE, qui seule fournirait le cadre pertinent pour affronter la mondialisation. Fort bien, mais le message, s'il s'arrête là, est largement insuffisant et l'on serait en droit d'attendre de la gauche et des syndicats qu'ils ouvrent un large débat sur la réelle politique de l'UE, sur la mise en oeuvre d'une stratégie de résistance à la logique ultra-libérale de Maastricht, qu'ils affirment haut et fort que ce n'est pas là l'Europe qu'ils veulent, et qu'ils engagent la lutte contre cette dérive en nouant des alliances politiques et syndicales au niveau européen.

Au lieu de cela que voit-on? Craignant avant tout que le non à l'adhésion l'emporte, ils tentent de faire prendre à leurs adhérents des vessies pour des lanternes et continuent à pratiquer l'acte de foi plutôt que le débat démocratique. C'est ainsi que lorsque quelques militants syndicalistes ont fait paraître dans l'organe du Syndicat Suisse des Services Publiques, en mars 97, le compte-rendu d'un meeting international tenu à Londres en février 97 pour l'abrogation du traité de Maastricht, ces syndicalistes se sont vus sermonnés dans le numéro suivant par un "rectificatif": l'article en question n'est pas compatible avec la position du SSP, car cette fédération a clairement pris position pour l'adhésion de la Suisse à l'UE et est donc en faveur du Traité de Maastricht! Ce qui reste à démontrer... Les syndicats, comme le PSS, sont parfaitement conscients que l'on ne saurait réduire les opposants à l'UE à une opposition "blochérienne nationaliste" mais qu'il existe, en France comme en Suisse et comme dans d'autres pays, une opposition sociale et démocratique qui exprime "la crainte d'une dérive qui donnerait la priorité absolue au pouvoir monétaire, au détriment d'objectifs sociopolitiques comme la lutte contre le chômage." (J.-C. Rennwald - La lutte syndicale - janvier 96)

Dans "Les cahiers de l'info syndicale" (mai 97) ce même journaliste et conseiller national socialiste écrit: "Dans le monde du travail, les discours favorables à l'Europe ne sont pas toujours accueillis avec enthousiasme, notamment parce que dans les différents pays européens, les chômeurs se comptent par millions." Il ajoute: "C'est vrai, mais ceux qui pensent que nous résoudrons nos difficultés en nous isolant font fausse route. Car c'est en Europe que se sont développés plusieurs instruments qui ont contribué à améliorer la condition ouvrière: l'État social, les négociations conventionnelles, la participation. Aujourd'hui ce modèle est en crise. Non parce qu'il est faux, mais parce qu'il ne pourra trouver une deuxième vie que s'il se développe à l'échelle de l'Europe et non plus sur le plan national." Comprenne qui pourra puisque ce sont l'application des critères de convergence qui sont à l'origine des plus violentes attaques aux acquis sociaux et du démantèlement progressif du "modèle social européen"!

Il y avait bien au sein de la gauche, au début du débat sur l'adhésion à l'UE, l'idée de "mesures d'accompagnement" qui auraient pu devenir la base d'une lutte contre le dumping social et salarial, contre le démantèlement des conventions collectives qui découlent inévitablement d'une ouverture des frontières et des marchés suisses à la concurrence européenne. Ces "mesures d'accompagnement" que sont-elles devenues? "Les cahiers de l'info syndicale" (mai 97) nous apprennent que "voilà plus de cinq ans que l'USS réclame des mesures d'accompagnement eurocompatibles, dans la perspective de l'introduction de la libre circulation des personnes. Jean-Pascal Delamuraz a récemment annoncé qu'il comprenait ce souci et entendait prendre des mesures." Voilà qui est très rassurant !

Il serait juste de rappeler ici que, pour les socialistes romands, la nature de ces "mesures d'accompagnement" et leur nécessité pour qu'une adhésion se pose déjà comme étape de la participation à la construction d'une Europe sociale, économique et démocratique, n'ont jamais été vraiment comprises. Ces socialistes étaient, dans leur grande majorité, "europhoriques" et voyaient d'un oeil sceptique ces mesures qu'ils considéraient comme "conditions" mises à l'adhésion. Or il fallait être pour ou contre sans ergoter sur des détails, la presse Ringier était là pour leur rappeler le Credo si nécessaire.

La seule véritable "mesure d'accompagnement" qui ait été mise sur pied l'a été grâce à nos droits démocratiques, faut-il le rappeler? Il s'agit de l'Initiative des Alpes, dont le véritable enjeu fut largement ignoré en Suisse romande, et sans laquelle nous serions aujourd'hui totalement désarmés face aux diktats du lobby autoroutier qui siège à Bruxelles. Dans ces négociations, l'UE démontre sans fard son peu d'intérêt pour la volonté des populations vivant dans les Alpes de protéger ce patrimoine commun et étale la manière coercitive avec laquelle elle entend négocier avec ses petits partenaires. Ces "mesures d'accompagnement" sont à mettre en avant avec la dernière vigueur, elles ne se conçoivent d'ailleurs que dans une perspective de maintien, voire d'extension des droits démocratiques (jugés en général obsolètes par les despotes éclairés qui préfèrent faire le bien des peuples malgré eux) qui seuls permettent de s'opposer, chaque fois que cela est nécessaire, à un pouvoir européen centralisateur. Car, comme l'exprime fort bien Jean-Pierre Chevènement dans son livre "Le bêtisier de Maastricht" (présenté dans ce journal) "il n'y a aucune raison de mettre en congé la démocratie au nom d'une pseudo-modernité, sous le faux prétexte qu'il faudrait casser les nations pour être «à la bonne dimension»".

Laquelle? Celle de l'homme ou celle du libéralisme économique triomphant? Au niveau européen, les instruments de défense des populations font encore totalement défaut, le syndicalisme européen en est à ses balbutiements et n'a jusqu'ici pas réussi à développer des positions unitaires contre le démantèlement social. Quand aux partis socialistes européens ils sont, pour la plupart, les artisans les plus zélés de l'actuelle construction de l'UE.

Ont-ils confondu la nation avec le nationalisme? Ou participent-ils plutôt du phénomène que croit percevoir J.-Pierre Chevènement qui voit: "le rejet de la nation -et de la souveraineté populaire- s'enraciner inversement dans le sentiment d'appartenir à une «élite» enfin délivrée des contraintes de la démocratie?" Ce serait là, d'après lui, "le secret de la transmutation des héritiers lointains des prophètes barbus du socialisme en sectateurs du marché et du «nouvel ordre mondial»".

Quoi que l'on pense de tout ce qui précède, il apparaît urgent de rouvrir le débat au sein de la gauche et des syndicats suisses sur ces questions. Ne doit-on pas s'opposer fermement à une construction qui se fait sans égards pour les besoins des populations concernées? Ne peut-on légitimement se demander si l'UE est notre seul avenir possible? Entre l'adhésion à cette UE et l'isolement n'y a-t-il aucun contre-projet à construire?

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