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Agriculture : souveraineté alimentaire plutôt que libre échange

Depuis trois ans, le monde est secoué par les crises successives : alimentaire, financière, économique. Du coup, on s’affronte entre libre échangistes et protectionnistes, entre partisans et détracteurs du libéralisme économique et de la sacro-sainte régulation par le marché. L’agriculture était depuis longtemps au cœur de cette polémique, bien avant les émeutes de la faim des années 2007-2008.

Par Anne-Catherine Menétrey-Savary

Depuis les années 60, la Banque Mondiale et les partisans de l’ouverture des frontières pour les produits agricoles ont fait miroiter bien des promesses, mais jusqu’ici aucune d’entre elles n’a été tenue. Sur le plan mondial, il s’agissait ni plus ni moins, grâce aux cultures intensives, aux biotechnologies et aux exportations, de sortir définitivement les pays les moins avancés de la pauvreté et de la faim. Or, si la production alimentaire globale a connu une augmentation plus rapide que la population, le nombre de personnes souffrant de malnutrition n’a fait qu’augmenter. Rien qu’en 2007 il s’est accru de 75 millions, pour atteindre le chiffre considérable de 973 millions. Le scandale, c’est que ce sont précisément les paysans qui souffrent le plus de la faim. La « révolution verte » a fait davantage de victimes que de gagnants et elle a détruit davantage de capacités de production qu’elle n’en a développées. Chaque année en effet, 50 à 60 millions de personnes dans le monde perdent leur terre et quittent leurs campagnes pour laisser la place aux grandes exploitations, alors que ceux qui continuent à cultiver leur petit lopin de terre n’ont ni les surfaces, ni les outils, ni les technologies nécessaires pour être compétitifs. Quant aux OGM, censés garantir aux populations rurales croissance et développement, ils ont ruiné, et parfois poussé au suicide, bien des paysans qui avaient cru à ces miracles et qui se sont retrouvés asservis aux géants de l’industrie agroalimentaire.

L’argument le plus souvent utilisé à l’appui de la mondialisation, celui qui trouble le plus les gens du Nord sensibles à la solidarité internationale, c’est l’appel à l’équité entre pays pauvres et pays développés. Le Nord est constamment accusé d’inonder égoïstement et cyniquement les pays du Sud de denrées alimentaires à bas prix, car fortement subventionnées, alors que ces derniers ne trouvent pas de débouchés pour leurs cultures d’exportation. Or ce n’est pas en termes d’équité que le problème se pose. Si l’on n’avait pas imposé à ces pays des modes de culture qui ont fait disparaître la production alimentaire locale, ils ne seraient pas obligés d’importer de la nourriture et d’acheter les surplus américains. Il n’y a pas d’opposition entre paysans du Nord et du Sud, mais une communauté d’intérêts et de choix. La solidarité passe désormais par l’internationalisation du mouvement syndical paysan, comme l’illustre le développement de Via Campesina.

Les aléas de l’ALEA

On retrouve en effet les mêmes schémas en Suisse autour du projet d’accord de libre échange avec l’Union européenne (ALEA). Aux agriculteurs, et surtout aux consommateurs, le Conseil fédéral promet que celui-ci-ci aura des retombées extrêmement positives. Ouvrir les frontières, selon notre gouvernement, c’est s’assurer davantage de diversité dans les produits alimentaires ; c’est favoriser la qualité par le biais de la concurrence ; c’est alléger considérablement le fardeau administratif qu’implique le contrôle des prescriptions (c’est ce que vise le principe du « cassis de Dijon », cher à notre ministre de l’économie) ; c’est accroitre le PIB d’au moins 2 milliards de francs et par conséquent favoriser la croissance et la prospérité du pays ; et c’est surtout regarnir le porte-monnaie des consommateurs grâce à une baisse des prix évaluée à 25%. Tout cela est censé à la fois combattre l’îlot de cherté qu’est la Suisse, maintenir une agriculture compétitive et favoriser du même coup notre industrie d’exportation. Mais qui peut croire à ces promesses, quand on sait que depuis 1990, les prix des produits ont augmenté de 11%, alors que les coûts de production et le revenu paysan diminuaient de 25% ? Ces quinze dernières années, près de 30'000 exploitations agricoles ont disparu, et sur les 60'000 qui restent, la moitié pourrait bien de ne pas survivre. Les conséquences de l’ALEA sont annoncées : l’ouverture imposera des « restructurations », terme pudique pour signifier de nouvelles disparitions et une baisse du revenu des agriculteurs de 50%. Il est à craindre, si l’on considère ce qui s’est passé jusqu’ici, que la pression sur les prix à la production, dramatique pour les cultivateurs et les éleveurs, ne bénéficiera pas aux consommateurs, mais ira grossir les marges des transformateurs et des distributeurs.

Quant à la diversité et à la qualité des produits, il est difficile de croire qu’elles s’amélioreront grâce à leur circulation, d’un bout à l’autre de l’Europe, par étapes successives au fur et à mesure de leur conditionnement. On assiste au contraire à une standardisation et à une uniformisation catastrophiques. Dans nos supermarchés, on trouve désormais des fruits et légumes proposés hors saison, calibrés, façonnés, « exterritorialisés ». Depuis plusieurs années, nous menons une bataille pour empêcher l’importation, du sud de l’Espagne notamment, de fraises, d’aubergines ou de tomates cultivées sous serre, dans des conditions écologiques et sociales totalement désastreuses et vendues chez nous à des prix de dumping. Les parlements cantonaux des six cantons romands, ainsi que celui de Berne, ont approuvé à une large majorité des initiatives parlementaires dans ce sens, mais le gouvernement fédéral, pour le moment, n’en démord pas : qu’il s’agisse de courgettes ou de téléviseurs, il entend bien supprimer toutes les entraves au commerce, aussi bien tarifaires que techniques. Pour pallier l’indignité, parfois, des conditions de production ; pour ne pas être complice de l’asservissement de travailleurs immigrés souvent sans statut légal qui œuvrent dans les forêts de serres en plastic du Sud de l’Espagne ou d’ailleurs ; pour avoir l’air d’agir contre la pollution, l’épuisement des sols et des nappes phréatiques, le gouvernement suisse entend recourir non pas à des barrières douanières, mais à des labels. Ce n’est cependant ni opérationnel ni suffisant.

A cela s’ajoutent les risques sanitaires de cette agriculture industrielle. Nous avons eu la vache folle, la viande aux antibiotiques, la grippe aviaire et maintenant la grippe porcine. Abolir toutes les entraves techniques au commerce selon le principe du « cassis de Dijon », c’est bien joli, mais n’est-ce pas brader du même coup les prescriptions sanitaires et écologiques qui faisaient la qualité des produits de notre agriculture ? C’est également sur des labels que la Suisse compte pour promouvoir ses produits agricoles sur les marchés de l’UE. Les optimistes estiment qu’avec les AOC, le bio et les indications géographiques pour les produits du terroir, notre agriculture devrait s’en sortir. En réalité, si ce raisonnement est éventuellement valable pour les produits transformés tels que le fromage, il n’est pas d’un grand secours pour les denrées communes peu diversifiées telles que les céréales ou les pommes de terre. Bien sûr, nous pouvons mettre sur le marché des produits de niche de grande valeur, mais la niche, au milieu d’un marché européen saturé, peut-elle suffire à faire vivre les paysans suisses ? Rien n’est moins sûr.

Des échanges, oui, libre-échange, non !

Sommes-nous par conséquent totalement opposés à l’ouverture des frontières et aux échanges ? Pas forcément. Mais nous avons conscience que nous nous trouvons devant deux logiques totalement opposées. Nous devons choisir non pas entre l’ouverture aux produits du Sud ou la protection de nos produits subventionnés, comme nos autorités nous le font volontiers croire, mais entre une logique marchande selon laquelle l’agriculture s’oriente vers l’exportation et accroît sa rentabilité grâce à des produits, des technologies et des méthodes qui la rendent dépendante des multinationales de l’agroalimentaire ; ou la logique de la souveraineté alimentaire, selon laquelle chaque société organise librement son approvisionnement sur la base de critères de qualité et d’économicité qui lui sont propres. La crise alimentaire de ces dernières années illustre la faillite de la logique marchande, au Sud comme au Nord. Sa vulnérabilité à des prédateurs internationaux qui se livrent à des investissements spéculatifs sur les matières premières agricoles ruine tout espoir de nourrir correctement la population mondiale, alors que le maintien d’une agriculture vivrière pourrait y parvenir. « Les produits alimentaires vont là où il y a du pouvoir d’achat, et pas là où les gens ont faim ! »

Cela ne signifie pas qu’il faille abolir tous les échanges. L’agriculture suisse n’assurant que le 60% de l’approvisionnement de la population, l’importation est indispensable. La souveraineté alimentaire que nous revendiquons n’est pas synonyme d’autosuffisance. Ce qui fait problème, à notre avis, c’est l’obsession des chantres de la mondialisation à vouloir considérer les produits agricoles comme interchangeables sur un marché homogène, à des prix unifiés, lesquels devraient déterminer les coûts de production en amont, sans tenir compte des particularités locales. Il n’y a aucune comparaison possible entre les milliers de tonnes de céréales produites industriellement aux USA sur des surfaces de 1000 ha par exploitation, par exemple, avec la tonne récoltée péniblement par le paysan africain sur son petit lopin ne dépassant pas 1 ha. Rien de comparable non plus avec la production suisse, soumise à des exigences écologiques élevées, cultivée sur une terre difficile et morcelée, peu propice à la culture intensive.

Ce qui fait problème également, c’est l’acharnement de nos autorités à réfléchir en termes de globalité pour concocter des accords qui concernent l’ensemble des biens économiques. Vouloir globaliser les accords de libre échange nous enferme dans des marchandages auxquels la production alimentaire ne devrait pas être soumise. En Suisse, certains estiment que le sacrifice de l’agriculture familiale est le prix à payer pour la prospérité de notre industrie. Ils pensent que si nous acceptons d’entrer en négociation avec l’UE pour l’ALEA, les milieux économiques seront moins réticents à accorder des crédits pour les paiements directs. Ils se montrent sensibles aux prises de position de certains économistes, dont B. Kappeler, pour qui l’agriculture suisse est beaucoup trop chère, ce qui pourrait « nuire aux intérêts à l’étranger des branches les plus modernes et les plus productives du pays, otages des privilèges domestiques propres à l’agriculture. »

A nos yeux, il n’est pas acceptable que l’agriculture suisse serve de monnaie d’échange à notre industrie d’exportation. La production d’aliments destinés à nourrir une population ne peut pas être traitée selon la même logique que la vente de biens manufacturés. Il n’est pas acceptable non plus que la recherche dans le domaine du vivant aboutisse à des brevets qui privatisent la vie et en fassent une marchandise monopolisée par des transnationales agroalimentaires. L’agriculture ne se définit pas exclusivement par sa production. Elle joue également d’autres rôles, au cœur des enjeux vitaux d’une société : l’organisation du territoire, la préservation de l’environnement et des paysages, le maintien d’une culture. Elle concrétise le lien entre les humains et la nature. Sa multifonctionnalité impose que l’on évite de la résumer à des échanges marchands. C’est pourquoi nous demandons que les accords commerciaux qui la concernent soient découplés des autres accords économiques et qu’ils soient négociés par d’autres instances, par exemple par la FAO plutôt que par l’OMC.

Producteurs, consommateurs, même combat

Il n’est pas exclu qu’un mouvement revendicatif fort, initié par les syndicats agricoles et les associations de consommateurs, parviennent à freiner et à infléchir le mouvement de libéralisation. Le mea culpa de la Banque mondiale au sujet de la « révolution verte », de même que le rapport sur l’agriculture mondiale , donnent des signes d’une possible réorientation, au moins dans la réflexion, sinon dans la politique. Alors que les négociateurs institutionnels pleurent (des larmes de crocodile ?) sur le dernier échec du Cycle de Doha, le mouvement paysan se félicite au contraire de ce répit ou de ce grain de sable dans les rouages. Nombreux sont ceux qui espèrent qu’il s’enlisera définitivement et que l’ALEA ne verra jamais le jour. Les milieux concernés ainsi que les partis politiques sont divisés. Les plus optimistes constatent que l’OMC a déjà mis de l’eau dans son vin en élargissant les exceptions au libre échange contenues dans la « Green Box », en acceptant d’y faire entrer notamment les paiements directs, en légitimant la protection des « produits sensibles », en valorisant les critères écologiques et en reconnaissant les critères de provenance. Pour l’ambassadeur et négociateur suisse Luzius Wasescha, « Il n’est pas exclu qu’à terme les produits de proximité bénéficient d’une certaine protection » . Ils ne désespèrent pas d’introduire également des exigences sociales pour la protection des travailleurs de l’agriculture. Dans cette optique, les partisans de l’OMC ont beau jeu de faire remarquer, non sans raison, que cette institution, avec son organisme de règlement des conflits, offre davantage de garanties que les accords bilatéraux. Sur cette lancée, ils estiment que négocier et souscrire à des accords partiels modulables pourrait déclencher une dynamique favorable. Du coup, ils adoptent le vocabulaire caractéristique de l’option commerciale en évoquant la nécessité d’un marketing « agressif » de la part des producteurs. Les autres estiment que cet espoir est totalement illusoire et que toute politique de libre échange implique automatiquement le risque de dérive vers l’hégémonie de l’agrobusiness. Pour l’heure, il est difficile de trancher, car tout cela dépendra bel et bien d’un rapport de force entre producteurs et consommateurs d’un côté, autorités politiques et milieux économiques (y compris les distributeurs) de l’autre.

En tout cas, du côté des consommateurs et de la population en général, le prix des produits agricoles n’est plus forcément l’élément prioritaire. La qualité, la fraîcheur, la traçabilité, la sécurité sanitaire deviennent les critères déterminants pour les choix alimentaires. L’attachement à la paysannerie et aux paysages façonnés par les terres cultivées ou les troupeaux reste considérable, et l’approvisionnement de proximité prend plus d’importance que jamais, comme le montre l’essor de « l’agriculture contractuelle de proximité ». Cette vision n’est pas forcément une image du passé. Même si nombreux sont ceux qui souhaitent ardemment la survie d’une agriculture familiale, d’autres formes d’organisation sont proposées ici ou là, qui ouvrent des perspectives intéressantes. Certains appellent de leurs vœux des groupements coordonnés de plusieurs exploitations ou de coopératives, pas forcément toutes à vocation prioritairement agricole, mais liées au tourisme, à la gastronomie, à la production d’énergie ou à la culture. Valoriser la production locale dans le cadre de parcs naturels régionaux est plus motivant que de se lancer dans la compétition internationale. Mais ces visions comportent aussi un risque. Il n’est pas certain en effet qu’elles suffisent à maintenir réellement en vie les exploitations aujourd’hui menacées. On peut également s’interroger sur la pertinence d’une évolution vers une agriculture récupérée par l’industrie des loisirs. Voulons-nous véritablement une campagne transformée en zone de loisir pour citadins en mal de nature, avec ses buvettes, ses manèges, ses parcs animaliers, ses résidences et ses piscines ? On a raison de reconnaître à l’agriculture sa multifonctionnalité. Mais il est essentiel qu’elle garde les moyens de cultiver des produits non pas pour le folklore, mais avant tout pour nourrir la population. Si cela doit passer par des échanges par-dessus les frontières, comme cela existe déjà pour le fromage par exemple, modulés et contrôlés rigoureusement, dans le respect de la souveraineté alimentaire et sans générer des transports inutiles, il n’y aura pas de notre part d’opposition systématique. En résumé, on pourrait dire : des échanges, oui, libre échange, non !

Anne-Catherine Menétrey-Savary Anc. Conseillère nationale, les Verts, VD Co-présidente de la Plateforme pour une agriculture socialement durable. 20.05.09


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